Voila une journée gorgée d'eau, eh oui cela arrive !!!! pluie prévue encore demain ,dommage je vais à Montpellier samedi matin et reviendrai lundi dans la matinée , croisons les doigts
Parcours d'une pianiste hors norme
« Subitement, j'ai pris conscience que la musique n'était pas uniquement liée au piano. J'ai mesuré l'étroitesse de mon horizon, moi qui avais abordé le piano comme une bouée de sauvetage, en ingurgitant tout ce que je pouvais en un temps record, entre 9 et 15 ans. Je suis sortie d'une période où j'abordais les œuvres comme elles me venaient. Je me suis mise à réfléchir. Jusqu'à une paralysie névrotique. Tant que je n'avais pas envisagé toutes les options d'une œuvre, je n'avançais plus. Une fois que je les avais toutes en tête, je ne me décidais pas. En musique, tout, et son contraire, est valide. C'est le festival de musique de chambre du violoniste Gidon Kremer, à Lockenhaus, qui m'a appris à mettre les éléments en perspective. Et à trancher. Aujourd'hui, j'attaque une œuvre directement au piano, dans la matière musicale, car je tiens à cette dimension primitive de plaisir.
En 1991, après avoir hésité à s'établir dans cette Allemagne dont elle aime la littérature mais pas l'ordre rigide, Hélène Grimaud prend du recul à Tallahassee (Floride). Un regard change sa vie : celui d'une louve qu'un vétéran du Vietnam garde chez lui. Aujourd'hui encore elle ne peut mettre de mots sur cette rencontre, mais parle d'« une reconnaissance mutuelle ». Elle passe un diplôme afin d'obtenir l'autorisation d'élever des loups chez elle, et espère maintenant achever son doctorat d'éthologie. Avec acharnement, la pianiste cherche un grand terrain, loin de toute habitation, mais proche d'un réseau de communication qui lui permettra de continuer d'exercer son métier. Les agents immobiliers du Connecticut lui proposent de somptueuses demeures.
Elle opte pour une masure à retaper et quelques hectares de bois sans vis-à-vis. Là, derrière un double grillage, dans l'enclos même, louve parmi les loups, elle peut observer ses congénères en noircissant des cahiers entiers de notes.
Hélène Grimaud parle d'une relation d'égalité avec ses loups.
« Si, parmi eux, vous n'êtes pas présent à 100 %, cela peut devenir dangereux. Rien n'est jamais acquis, chaque comportement dépend de l'organisation hiérarchique de la meute »
précise-t-elle en enfilant une combinaison et des bottes matelassées avant de franchir la porte de l'enclos.
« Je n'ai pas peur d'être mordue, mais pour vous reconnaître, vous tester, le loup commence par mordre vos vêtements. Si je porte une veste que j'aime bien et que je le repousse, même gentiment, j'instaure un rapport agressif risqué. Aussi, là, je suis tranquille. »
Nous pas, quand, dans une décontraction constamment vigilante, elle joue avec les loups, les prend à bras-le-corps, leur mordille l'oreille tout en vous engageant à poursuivre la discussion. Le silence vous semble plus prudent. On s'en voudrait que, d'une faute d'attention, la belle n'héritât d'un coup de croc. Plus loin, elle s'agacera que les médias exploitent sa passion animale. Une fois encore, son image lui échappe. Sa maison de disques lui en refuse non seulement le contrôle, mais va jusqu'à imprimer des traces de pattes de loup sur son dernier album Beethoven...
Hélène Grimaud s'enflamme alors pour justifier sa passion pour le seul prédateur rivalisant avec l'homme. Dans les sociétés anciennes, de Romulus et Remus
à Gengis Khan, en passant par les tribus indiennes, le loup fut un modèle avant de devenir la face féroce de l'inconscient humain, à exterminer coûte que coûte. Surtout depuis que, il y a deux mille ans, naquit l'« agneau de Dieu ».
Les loups ont aidé la pianiste à se reconstruire en lui créant des obligations de présence. Elle ne s'absente jamais plus de dix jours et n'accepte donc pas n'importe quel concert. Elle puise une force nouvelle dans son contact viscéral avec la nature, qui relativise les faux-semblants de la vie d'artiste. De jour comme de nuit, il faut nourrir les loups, jamais à heure fixe ni en disposant la viande au même endroit, ou alors ils deviennent soit névrosés, soit léthargiques.
Hélène Grimaud affirme même que ses animaux l'ont réconciliée avec le genre humain, tant elle s'émerveille des classes d'enfants qui défilent chez elle, dénués de tout a priori. Entre piano et loup, elle ressurgit plus forte encore pour des concerts tout en énergie où chaque œuvre, au lieu d'être noyée dans une opulence sonore envahissante, est cernée, condensée au plus profond de sa pulsation vitale. Elle offre ses doutes comme des certitudes, se livre et s'abandonne dans des tensions aiguës, rarement apaisées. Très physique, remuante, elle a conscience de parfois provoquer un malaise en concert. « Si je ne projette aucune charge émotionnelle, autant rester chez moi. »
Hélène Grimaud évolue doucement. Moins de concerts avec des œuvres de longue haleine où personne, ni elle ni le public, ne peut décrocher en cours de route.